Vive la bredouille !

Publié le 15 juin 2018
Auteur Vincent Piednoir
Ah, la bredouille ! Tous les chasseurs la connaissent, et la redoutent un peu ! Elle a la plupart du temps le goût aigre de la déconvenue et d’une certaine amertume ; elle met parfois de fort mauvais poil celui qui la subit ; elle peut même nous rendre tout bonnement insupportables aux yeux de notre entourage… Et pourtant, que serait la chasse sans elle, et quel type de plaisir pourrions-nous retirer d’une battue, d’une nuit de gabion, d’une approche, si la menace du buisson creux disparaissait définitivement ?

La hantise de rentrer bredouille

Cette espèce de paradoxe irréductible, nul chasseur ne l’ignore. L’oiseau que nous attendons, le lièvre que nous cherchons ou le sanglier sur lequel nous avons découplé, nous espérons tous qu’il finira par se présenter devant notre arme, pour qu’il nous soit loisible de le tirer – à la loyale s’entend.

Cependant, tout le sel de notre passion est concentré dans la possibilité que l’événement n’ait pas lieu, que les efforts que nous avons fournis, les ruses dont avons usé et les techniques auxquelles nous croyons se révèlent inefficaces et vains.

La chasse, une école de la patience

On a souvent dit que la chasse est une haute école de patience, et cela est vrai ; mais elle est aussi une école au sein de laquelle on apprend à dompter la possibilité de l’échec, sans jamais, et c’est heureux, y parvenir tout à fait.

Car ce qu’il y a assurément de plus beau et de plus profond dans la cynégétique, c’est précisément le fait que, malgré les bredouilles, et peut-être même grâce à elles, le désir de retourner au marais ou au bois ne tarit pas. Il y a là une part d’instinct sublimé qui nous rend véritablement vivants et, en quelque sorte, invulnérables à la lassitude.

Personnellement, je n’ai jamais pu comprendre qu’il existe des chasseurs blasés : cela me semble parfaitement contradictoire, et c’est sans doute le rôle de la bredouille que de nous préserver de cet état d’esprit qui nous exclut de facto de la sphère des belles émotions. D’autant qu’à la chasse, on « voit » toujours quelque chose en réalité : il suffit pour cela d’ouvrir les yeux et les oreilles…

L’illustration par un exemple

Imaginons – ce qui ne sera pas très difficile, puisque nombre de nos lecteurs ont connu situations semblables. Je suis au pied d’un énorme chêne, au beau milieu d’une forêt. Les feuilles sont tombées pour la plupart ; une brume persistante a enveloppé le lieu ; je sais que le vent d’est des derniers jours a porté jusque dans nos contrées quantité de pigeons ramiers. Tout cela est d’excellent augure pour le tir au posé que j’espère réaliser, emmitouflé dans ma veste de chasse, mains gantées et cagoule vissée sur la tête…

Premières minutes : des oiseaux filent à la cime des arbres, pressés, puis d’autres, et d’autres encore. Je ne doute pas que, parmi eux, certains finissent par prendre leur quartier à portée de mon fusil.

Les minutes passent, une heure, deux ; voici la nuit qui s’avance, je n’ai pas épaulé une seule fois, mes chances s’amenuisent, mais j’y crois encore. J’entends autour de moi des sifflements et autres claquements d’ailes ; j’aperçois les ombres de ces oiseaux un brin « moqueurs » ; quelques-uns se sont posés plus loin, trop loin ; impossible de les approcher… On connait la musique : le pigeon n’est pas celui qu’on pense. Au final, la chance ne m’aura pas souri ; voilà qu’il faut à présent plier les gaules, et rentrer.

Un état d’esprit plus fort

Déception, oui, parce que j’y croyais. Tout se présentait si bien… Mais le mystère, le fameux mystère c’est que, demain, après-demain, dans un an, dix ans, malgré tout, toujours, j’y croirai encore. Et quand le moment sera venu de faire un joli tableau, un jour où d’ailleurs les conditions ne seront peut-être pas du tout favorables, je me souviendrai des bredouilles, des innombrables buissons creux, des attentes insatisfaites et des efforts infructueux qui auront donné tout leur sens à ces instants de réussite-là.

Ce modeste exemple de bredouille au posé du pigeon vaut, naturellement, pour toutes les pratiques cynégétiques. Il montre simplement que l’essence de la chasse, c’est le renouvellement permanent de l’espoir par le désir – ce qui n’est pas rien. Alors, vive la bredouille !

Et vous, quelle est votre meilleur souvenir de bredouille?

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