Nous l’avons déjà évoqué dans le cadre de ce blog, la langue française et l’usage courant ont très largement hérité du vocabulaire propre à la cynégétique. Nous vous proposons aujourd’hui de poursuivre notre exploration de ce phénomène (lequel pourrait, soit dit en passant, être étudié à l’école !) à travers trois nouveaux exemples fort significatifs…

Éventer

 

Voilà un bien joli mot ! Appartenant au registre soutenu, sinon littéraire, ce verbe a principalement pénétré l’usage courant par le biais d’expressions comme « éventer quelqu’un » ou « éventer quelque chose ». Dans le premier cas, il renvoie à l’idée qu’une personne a été mise au jour, que son identité ou ses intentions, volontairement dissimulées, ont été découvertes ; exemple : Adrien, qui se faisait appeler Sébastien parce qu’il pensait que ce prénom plaît davantage aux filles, a été éventé par Martin qui, le nez creux, a immédiatement rendu publique la supercherie. Dans le second cas, l’idée de déceler ce qui était délibérément caché est conservée, mais elle est cette fois appliquée à un projet, un complot, un piège, une intrigue, etc. Un exemple : Martin et Adrien avait décidé d’offrir à Sébastien une superbe BAR pour son anniversaire ; désireux de lui en faire la surprise, ils s’étaient promis de garder le secret jusqu’au jour J ; hélas, ayant entendu par le plus grand des hasards ses deux amis mettre au point leur projet, Sébastien avait éventé la surprise, qui n’en restait cependant pas moins belle…

Naturellement, tout le monde aura reconnu la racine de ce verbe, constituée du mot vent, lui-même issu du latin ventus – qui contient l’idée d’émanation ou d’air. On sait, en outre, l’importance que revêtent le sens olfactif et les ‘‘odeurs’’ à la chasse : on dira donc que le gibier évente l’homme lorsqu’il distingue son odeur (voilà pourquoi il est impératif d’être à bon vent quand on pratique l’approche, par exemple !), et que les chiens éventent le gibier lorsqu’ils sont fermement sur sa voie et hument son sentiment (ce qui est vrai des chiens courants l’est d’ailleurs aussi des chiens d’arrêt, etc.). De même, on utilise ce verbe dans le domaine du piégeage : maître renard ne s’est pas fait prendre, parce qu’il a éventé telle boîte à fauve ou tel collet et l’a du coup… évité !

Précisons pour terminer que l’acception cynégétique de ce mot est attestée au moins depuis le début du XIIe siècle, et qu’il n’a pris son sens courant que quatre cents ans plus tard. L’étymologie, ou l’art d’éventer l’origine des mots

Le miroir aux alouettes

« Alouette, gentille alouette,

Alouette, je te plumerai ! »

Si la fameuse comptine détaille par le menu le moyen de laisser bien nu ce « petit passereau d’humeur joyeuse » (comme l’appelait Dominique Venner) qui égaie prairies et marais de son si joli chant, elle ne décrit nullement les techniques qui permettent, au préalable, de le capturer. Or, parmi celles-ci, figure le non moins célèbre miroir qui, à l’instar du panneau, est aujourd’hui beaucoup plus connu comme ‘‘expression’’ que comme objet physique, en l’occurrence comme piège ou leurre.

Car tel est, à l’origine, le miroir aux alouettes : un petit dispositif constitué d’une pièce de bois dans laquelle sont incrustés des fragments de matières brillantes, que le chasseur fait pivoter à distance et qui, en scintillant, attire irrésistiblement les alouettes mais aussi les ortolans, les cailles, etc. De fait, la chasse au miroir ne date pas d’hier (quoique cette pratique cynégétique soit interdite à présent, du moins au moyen d’un dispositif pourvu de facettes réfléchissantes) : au XVIIIe siècle, on se servait déjà de cet instrument pour prendre les oiseaux au filet. Puis, lorsque l’arme à feu se popularisa, l’on se mit à tirer ces gibiers fascinés par la lumière au posé ou au vol…

Le miroir aux alouettes fait maintenant partie du vocabulaire général : une proposition politique suspecte, un discours quelconque orné de promesses intenables, telle ou telle flatterie émise pour obtenir, non sans mensonges, un avantage, un suffrage, une faveur : le miroir répond à l’attente de celui qui (se) regarde… et qui finira par être plumé !

Ces interprétations mises à part, on constate, encore une fois, que la langue de Diane irrigue notre quotidien. Faisons-le savoir, pour que chacun prenne bien note qu’il parle chasse, sinon chaque jour, en tout cas régulièrement !

La curée

Ce terme, qui appartient pleinement au vocabulaire de la vénerie, est lui aussi entré dans la langue courante, au sens figuré, avant même le XVIe siècle. Dans cette acception, il désigne, nous dit l’aimable Robert (on ne soulignera jamais assez l’importance du dictionnaire !), la « ruée vers les places, le butin » ; autrement dit, faire curée de quelque chose, c’est profiter de cette chose, avec une certaine avidité le plus souvent, afin d’obtenir d’elle tout ou partie. Imaginez un vieux roi, jadis puissant sinon autocratique, mais qui, sur le déclin, finit par casser sa pipe ; dans son entourage, il y a toute une descendance animée par le même désir, celui de reprendre les rênes du royaume. Le souverain meurt donc ; aucun des prétendants au trône ne parvient à s’imposer ; finalement, on décide de diviser le pays en une multitude de petites régions indépendantes les unes des autres… A bien des égards, on pourra dire que les descendants ont fait curée du royaume.

Evidemment, la dimension négative ou péjorative de cet usage du mot curée ne se retrouve pas du tout dans le langage des veneurs. Au contraire, la notion désigne un rite central et incontournable de la chasse à courre : il s’agit de l’instant solennel au cours duquel on fait manger par la meute une portion de l’animal qui a été pris (viscères, sang, bas morceaux, etc.), le plus souvent au son des trompes ; cette cérémonie est notamment destinée à récompenser et à encourager les chiens ; notons également que l’on distingue la curée chaude (réalisée dès la fin de la chasse, dans la continuité de l’hallali, sur place) de la curée froide (qui aura lieu au retour de la chasse, au chenil, devant l’ensemble des invités). Une distinction qui aurait pu revêtir un sens figuré très intéressant – ce qui n’a pas été le cas, à ma connaissance du moins…

Mais si la curée représente à bien des égards l’aboutissement du courre, l’étymologie du mot ne laisse pas de souligner encore l’appartenance de celui-ci au vocabulaire de la vénerie : en effet, curée vient du latin corium, qui désigne le cuir ou la peau de l’animal. Jadis, lorsqu’un cerf était pris par exemple, on l’écorchait, puis on plaçait sur le cuir de sa peau le contenu de la curée, de telle sorte que les chiens le mangeaient à même ce… ‘‘contenant’’ (un contenant qui prendra d’ailleurs, à partir du XVIIe siècle, le nom de nappe). Bon appétit, si vous êtes à table !

 

Retrouvez d’autres expressions issues du monde de la chasse dans nos deux précédents articles :

Quelques expressions françaises héritées du monde de la chasse (partie 1)
Quelques expressions provenant du monde de la chasse
Quelques expressions de chasseurs bien de chez nous…