Parmi les nombreuses pratiques qui constituent l’univers cynégétique, il en est une qui, à nos yeux, dégage un parfum de vraie liberté et – n’ayons pas peur des mots – de rare authenticité. Reprise sans vergogne (mais avec un peu d’amnésie sur son origine) par maints photographes animaliers modernes, cette pratique, qui inspira à Henri Vincenot le titre de son célèbre ouvrage éponyme, présente l’avantage de plonger celui qui s’y livre dans une belle incertitude, exigeant de lui qu’il accepte d’être, à bien des égards, le jouet d’un certain hasard.

 

Petit rappel de ce qu’est la billebaude

Indissociable du charme infini de la rencontre fortuite, de la surprise au sens plein du terme, la billebaude est, pour le nemrod, l’art de se laisser prendre au détour d’un bois, d’une haie, d’un gîte invisible au premier abord – l’objet de l’apparition fût-il de poil ou de plume.

Avec ou sans chien, puisqu’aussi bien l’on peut billebauder sans auxiliaire (j’avoue, pour ma part, préférer la compagnie de quelque fox), il s’agit d’aller au petit bonheur la chance explorer (ou réexplorer) un territoire, en faisant fonctionner à plein cet organe qui est l’essence de toute vie : l’espoir. Un coup de dé, en vérité.

 

L’origine de la billebaude

Dans son magnifique ouvrage intitulé Dictionnaire amoureux de la Chasse (Plon, 2000), Dominique Venner définit la billebaude en ce mots : « Fouler, attaquer ou chasser à la rencontre, au hasard. Ce mot plein de saveur, conservé par la vénerie, vient de ‘‘baude’’, terme médiéval qui signifie ‘‘hardi’’‘‘Paumer à la billebaude’’ signifiait jouer une balle téméraire, hors des règles, en misant sur la chance. »

Il va de soi que la billebaude, appliquée à la chasse, n’implique pas de se passer de règles (notamment pour ce qui touche à la sécurité et au respect de la loi) ; seulement, il y a là quelque chose de moins contraignant, de plus profondément vivant et excitant que ce que l’on rencontre, par exemple, dans le rituel de la battue – que celle-ci soit relative au grand ou au petit gibier.

Il est vrai cependant que la billebaude, généralement, ne vise pas autre chose que ce dernier, sauf exception : perdreau, faisan, grive, pigeon, alouette, bécasse, parfois canard ou bécassine, lièvre ou lapin… Et c’est aussi pourquoi il semble nécessaire ou préférable d’utiliser une arme dotée de deux canons, pour se donner le choix de deux numéros de plomb ou de grenaille, le cas échéant.

 

La libre communion avec la nature et les animaux

Pour l’avoir souvent pratiquée (et parce qu’elle est au goût de nombre de chasseurs sous nos latitudes, courant grosso modo de l’ouverture à la fermeture générale), je dirai que la billebaude, échappant par essence aux règles établies d’un mode de chasse spécifique et codifié, permet comme aucun autre de vivre des instants de libre communion avec la nature et les animaux. Car la billebaude est d’abord contemplation, ouverture, possibilité : on sait que le gibier est susceptible d’apparaître (ou non), mais on ignore lequel ; tirera-t-on au vol ou au sol ? Autre stimulante inconnue.

 

Se laisser surprendre pas l’inattendu

On marche, on stoppe, on se dissimule, on observe, on écoute, on patiente, avant de repartir ; tantôt, tel buisson environné de grattis et de crottes nous laisse entendre que l’habitant des garennes peut surgir à tout instant sur notre passage ; tantôt, c’est un coq que l’on entend rappeler et que, peut-être, nous retrouverons plus tard, à l’orée d’un taillis ; tantôt, encore, il s’agira d’une bande de ramiers, cherchant un chêne où passer la nuit, bec contre le vent, et que l’on pourra – au vrai – s’empresser d’aller attendre à l’abri du bois…

Sans oublier, comme il nous est arrivé jadis, la possibilité de tomber sur un ragot ou un vieux solitaire exilé de toute compagnie et comme gîté au cœur d’un méchant roncier d’une poignée de mètres carrés seulement, quand il n’y avait pas là quelque renard dédaigneux du terrier… En somme, tout ne dépend que de soi et de la chance – délicieux paradoxe ! Ainsi est la billebaude.

 

Ce n’est plus comme avant, mais c’est toujours enivrant

Peut-être ces quelques mots paraîtront-ils trop laconiques, expéditifs, pour évoquer l’étrange sentiment qui nous envahit lorsque, seuls ou accompagnés, mais toujours avec notre fusil, nous évoluons parmi la campagne, sans autre but que de poursuivre l’incertain.

S’il fut un temps, il est vrai, où le gibier foisonnait bien davantage qu’aujourd’hui, et où, par conséquent, l’on pouvait connaître d’intenses billebaudes, cela ne doit pas nous conduire à dénigrer ou à minimiser l’impression de plénitude que nous retirons de ces chasses rustiques, simples, et qui mêlent au bonheur de la flânerie un rien d’opportunisme. Car, après tout, qu’importe la prise pourvu qu’on ait… bien quêté ?

 

Photo par : Lens and Hound