Est-il rien de plus difficile et frustrant, pour un chasseur, que de tenter de faire comprendre au profane l’essence même de sa passion ? Lorsqu’on lui demande : « Qu’est-ce qui vous plaît tant à la chasse ? » – il a bien souvent du mal, fût-ce en présence d’une oreille attentive, à trouver le mot adéquat, à imaginer l’analogie qui permettrait de faire sentir à son interlocuteur ce que la chasse recèle à ses yeux d’émotions, de grandeur, de beauté.
Et quand il aura expliqué, à juste titre, qu’elle n’a rien d’un passe-temps, qu’elle est infiniment plus qu’un sport, qu’elle est une manière unique de communier concrètement avec Dame Nature – il lui restera encore, amère expérience, l’impression tenace de n’avoir rien dit de décisif sur le sujet.
Un livre à mettre entre toutes les mains !
A tous ceux qui ont déjà connu cette déconvenue, le livre de Bruno de Cessole – écrivain, journaliste et grand cynégète lui-même – sera sans nul doute d’un précieux secours. En une centaine de pages brillamment écrites, l’auteur, jamais vindicatif, parvient avec talent à peindre cet instinct sublimé qui anime tout véritable chasseur, et à le rendre, par conséquent, plus accessible au profane dont la curiosité pourrait être piquée. Personnellement, il n’est pas une ligne de ce « Petit roman de la Chasse » à laquelle je ne souscrive.
Le paradoxe du chasseur
Ici, le tabou de la mort et le paradoxe du chasseur sont affrontés sans détour ; ils sont même au cœur de la réflexion. Comment le chasseur peut-il tuer ce qu’il aime ? Qu’est-ce que cet instinct mystérieux qui le pousse à traquer et, parfois, à venir à bout d’un animal sauvage pour lequel il éprouve bien davantage que de l’admiration – un amour sans mélange ? Jadis, on ne voyait là nulle contradiction ; aujourd’hui, depuis une vingtaine d’années surtout, ces questions sont devenues inévitables. Or c’est avec lucidité et courage que Bruno de Cessole y répond.
Ce que l’homme doit à la chasse
Homme de culture, Bruno de Cessole réinscrit en outre, contre tous les simplismes, l’univers de la Chasse au sein même… de la Culture et de l’histoire qui l’a portée. Peintres, romanciers, philosophes, Anciens et Modernes sont ainsi convoqués sous sa plume pour désavouer l’intégrisme de certains civilisés trop oublieux de leur origines, et trop prompts, également, à passer sous silence le rôle vital joué, depuis l’aube de l’humanité, par la chasse. Car non contente d’avoir, à elle seule, assurer la survie et le développement de l’homme durant des millénaires, la chasse fit aussi « éclore la civilisation et l’art » ! On conviendra que ce n’est pas peu… et qu’il serait, à tout le moins, honnête de s’en souvenir.
Le philosophe espagnol Ortega y Gasset, cité par l’auteur, considérait la chasse comme « l’essence même du bonheur », et déclarait : « On ne chasse pas pour tuer ; on tue, quelquefois, pour avoir chassé. » L’un des mérites de Bruno de Cessole est d’avoir su attirer l’attention de chacun sur la fécondité de cette nuance.
Un livre à lire, à offrir et à méditer – sans modération !
« Le petit roman de la Chasse », Editions du Rocher, 2010.