Médecin, écrivain, collaborateur de la revue Jours de Chasse, le docteur Jean-Louis LLombart est un fin connaisseur de la grande chasse africaine, dont il est tombé amoureux il y a quelque vingt ans. Dans ses récits, il narre – au gré d’un style impeccable – les aventures qu’il a traversées sur ce vaste continent où la Nature est reine et où l’Animal, par sa puissance, par sa splendeur, ne semble pouvoir s’écrire qu’en majuscules. Loin des clichés, ce nemrod sensible et lucide sait avec une rare précision expliciter l’essence de cette passion qui mêle, de façon inextricable et paroxystique, quête des grands animaux et quête de soi-même. Le docteur LLombart a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet – qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

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Jean-Louis-Llombart et son guide.

Vincent – Quand avez-vous commencé à prendre goût à la chasse des grands animaux en Afrique – et pourquoi ? Qu’est-ce que cette chasse représente, pour vous ?

Jean-Louis Llombart – Après mes longues années d’étude de la médecine, je me suis empressé de passer les épreuves de la première session de l’examen du permis de chasser en 1978 et ce fut cette année-là ma première saison de chasse. Il ne s’agissait alors pour moi que de petit gibier le dimanche matin. Au bout de quelques saisons, percevant qu’il n’y avait pratiquement plus de petit gibier naturel, déçu, j’ai raccroché mon fusil tout en rêvant au grand gibier des catalogues des chasses commercialisés par l’Office national des forêts. Quelques années plus tard, invité avec des confrères à une chasse aux faisans aussi factice qu’organisée, je reprenais le virus. Je goûtais alors au grand gibier, le chevreuil, le mouflon, l’isard et le cerf mais une évidence s’était rapidement imposée : l’Afrique et ses mystères avaient pris possession de mon âme de chasseur.

A dire vrai, je m’étais alors réapproprié l’Afrique, car, né en Algérie j’avais gardé au plus profond de moi les récits de chasse de ma mère et de mes grands-pères. Il m’était devenu essentiel de revivre ces émotions. La simple évocation du mot Afrique excitait mon imaginaire. Quelque chose en moi vibrait et entrait en résonance avec la fibre profonde de ma personnalité pour retrouver ces racines inoubliées, ces sentiments refoulés et cette partie de moi-même insoupçonnée jusqu’alors.

La chasse des grands animaux en Afrique prit pour moi une telle dimension qu’elle me devint essentielle. Le big-five me possédait, mais aussi la brousse, la forêt, l’humanité profonde et simple des hommes, la beauté des femmes, la splendeur des paysages et ce sentiment inébranlable de totale liberté.

Il n’y a qu’en Afrique que j’ai éprouvé avec autant d’intensité cet égarement de l’esprit dû à l’impression de pouvoir tout dominer et tout régir et dans le même temps ressentir avec autant d’acuité mes faiblesses et mon insignifiance dans cet univers si hostile et si diffèrent de mon ordinaire. Quand je chassais en Afrique, submergé par un paroxysme d’émotions, se côtoyaient en moi les joies de l’âme les plus intenses comme les désordres de l’esprit les plus fous.

 

V. – Combien de fois êtes-vous allé chasser en Afrique ? Dans quels pays, principalement ?

J.L.L. – J’ai fait plus d’une quinzaine de séjours de chasse en Afrique. Mon premier séjour a eu lieu en Namibie en 1997. Ce pays est souvent considéré comme la porte d’entrée de la grande chasse en Afrique, mais il me manquait au retour un accent d’authenticité. Ensuite, je suis allé en Afrique de l’Ouest. Le Burkina a été pour moi une révélation, l’Afrique à laquelle je rêvais. Celle des aventuriers, de la mission Marchand (Fachoda), de Foa, mais aussi celle de Jules Gérard (le chasseur de lion) de mon Algérie natale. J’ai fait trois séjours consécutifs au Burkina avec un ami d’alors avec lequel j’ai partagé des moments d’une exceptionnelle intensité. J’y ai prélevé mon lion, à la loyale, à pied, tiré à 20 mètres et qu’il a fallu rechercher dans les pailles dans lesquelles il s’était refugié. Il était mort : la première balle avait été la bonne.

Je suis allé aussi en Afrique du Sud, en Ouganda, deux fois au Bénin, deux fois en République Centrafricaine et j’ai aussi effectué six séjours au Cameroun : quatre en savane et deux en forêt. C’est assurément l’un des plus attrayants pays de grande chasse de l’Afrique de l’ouest et qui ne connaît pas la chasse des éléphants en forêt tropicale n’a à mon avis qu’une vision partielle de la réalité de la grande chasse, car, comme pour la chasse en montagne, on ne peut pas tricher.

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V. – Que répondez-vous aux personnes qui n’entendent pas que l’on puisse tuer, par exemple, un lion ou un éléphant ?

J.L.L. – Sans entrer dans le débat écologique, ceux qui n’entendent pas que l’on puisse tuer un éléphant ou un lion ne sont pas de vrais chasseurs, sinon ils poseraient la question de savoir comment il faut faire pour parvenir à ce but. L’éléphant et le lion font assurément partie de la grande chasse ; ce sont même des sommets de la cynégétique. Le braconnage et l’expansion démographique sont responsables de la raréfaction de ces animaux, mais il s’agit d’un autre débat…

 

V. – Je sais que vous goûtez particulièrement l’approche : pouvez-vous nous préciser pourquoi ?

J.L.L. – L’approche est à mes yeux l’essence de la grande chasse. Je respecte bien entendu toutes les formes de chasse mais, pour moi, en dehors de l’Afrique, c’est en chassant, seul avec mon chien au pied, le chevreuil à l’approche que j’ai éprouvé mes plus grandes émotions de chasse.

 

V. – Pourriez-vous évoquer pour nos lecteurs un ou deux souvenirs de chasse qui vous ont particulièrement marqué sur ce continent ?

J.L.L. – Incontestablement la chasse du lion au pistage et celle de l’éléphant de forêt.

Au cours de mes trois séjours au Burkina, deux ont été consacrés au pistage des lions. Dans la tête du chasseur il y a tant de tension au fil des kilomètres de pistage et des heures de marche que, parfois, la pression est insoutenable. Mais quelle explosion de joie quand le lion est là, par terre, sur le flanc, devant vous ! Une joie intense vous submerge, mais en même temps, comme toujours en Afrique où l’on est frappé par les extrêmes, la peur vous envahit en voyant ces pattes énormes, ces crocs, ces griffes, en mesurant cette puissance qui aurait pu fondre sur vous… Alors, la fierté voire l’orgueil domine.

J’ai tiré deux éléphants en savane et un troisième en forêt. Englouti dans la pénombre permanente de cette cathédrale obscure que constitue la grande forêt, en suivant pendant des jours les pygmées, les difficultés et les doutes engendrés par le pistage se voient décupler par cette sorte de cécité partielle mais réelle que procure la claustration dans les frondaisons que l’on souhaiterait éclaircir à la machette pour enfin y voir un peu plus loin que le bout de son nez. Alors, quand enfin l’éléphant est là, couché sur le flanc, on éprouve un tel sentiment de gloire et de puissance que demain sera pour soi le matin d’un nouveau monde.

 

Découvrez ou redécouvrez les récits de chasse de Jean-Louis LLombart :

« Jusqu’au toit de l’Afrique », Editeur Lacour, Nîmes, 2006

« Les braconniers du Dja », Editeur Lacour, Nîmes, 2009

« L’éléphant est mort »,  Editions du Markhor, Paris, 2012

 (Les trois ouvrages sont disponibles à la librairie de Montbel, à Paris)

 

… et partagez avec nous vos propres souvenirs de chasse, ainsi que vos réflexions !