[Interview] La chasse au cinéma selon Cheyenne-Marie Carron : Le corps sauvage

Publié le 21 septembre 2018
Auteur Vincent Piednoir
Entretien avec la réalisatrice Cheyenne-Marie Carron, à l’occasion du tournage du film Le Corps sauvage.

Résumé de l’oeuvre de Cheyenne-Marie Carron

Chacun le sait : il est des films à si gros budget que c’en est presque indécent. D’autant plus que tout cet argent investi est loin d’être à chaque fois un gage de qualité ou d’originalité quant au produit final… Cependant, en parallèle de ces mégastructures qui bénéficient systématiquement du martelage médiatique, il existe aussi un cinéma plus confidentiel, disposant certes de moyens nettement moins colossaux, mais conservant de ce fait une réelle indépendance d’esprit et de vision : or c’est à ce cinéma-là que celui de Cheyenne-Marie Carron appartient.

Scénariste, productrice, réalisatrice, Cheyenne s’est en effet battue bec et ongle pour que chacun de ses longs-métrages (dix en dix-huit ans de cinéma, excusez du peu !) puisse naître et toucher son public, avec toujours, pour horizon thématique, l’exploration des identités individuelles et culturelles, ainsi que leur rencontre à travers des personnages et des parcours singuliers.

Aussi – après L’Apôtre ou La Morsure des dieux, par exemple – la réalisatrice a-t-elle décidé d’aborder dans son dixième film un sujet qui ne laissera pas les lecteurs de ce blog indifférents : celui de la chasse – de sa beauté, de sa noblesse.

L’histoire ?

Pour le dire en quelques mots, il s’agit de celle de Diane, une jeune femme de vingt-six ans qui – désireuse de s’éloigner de Paris et d’un contexte familial compliqué – séjourne chez son grand-père, lui-même chasseur, en Bretagne, où, au cœur de la forêt, elle se livre à la chasse à l’arc, en vibrant à l’unisson de la nature…

Un film qui promet d’être poétique, au sein duquel la diversité des pratiques cynégétiques – vénerie, fauconnerie, chasse à tir, etc. – trouve évidemment sa place, et dont Cheyenne-Marie Carron a terminé le tournage l’été dernier (pour une sortie prévue lors du premier trimestre 2019). Son titre ? Le Corps sauvage. Entretien…


Interview de Cheyenne-Marie Carron

On sait que, sous nos latitudes, la chasse n’est pas toujours regardée avec bienveillance. Qu’est-ce qui vous a poussée à traiter de ce sujet ? Chassez-vous, vous-même ?

Non, je ne chasse pas moi-même, et je n’ai pas grandi, à l’encontre de nombreux chasseurs, dans un entourage lié à la cynégétique. Cependant, sans doute à cause de mon parcours personnel, j’ai toujours été attirée par les thématiques fortes, les univers qui permettent de sentir que l’on est « ancré » dans le sol, en quelque sorte ; et je crois que la chasse en fait vraiment partie. D’abord, bien pratiquée, c’est-à-dire conformément à l’éthique, il s’agit assurément d’un mode de vie doublé d’une profonde philosophie. Loin d’être « cruelle » ou « anachronique », comme on l’entend dire souvent, la chasse est non seulement de tous les temps et de tous les lieux, mais elle participe également pleinement de l’essence de la nature, par le simple fait qu’elle intègre, dans sa pratique, les « phénomènes » indissociables de la vie et de la mort, ainsi que, bien entendu, celui de la prédation. La cruauté, c’est le plaisir de faire mal ou de tuer : or la chasse n’a rien à voir avec cela.

Les chasseurs disent d’ailleurs souvent que l’acte de tuer n’est que la conclusion de l’approche, de la traque ou de la quête, par exemple…

Oui, et je les crois volontiers. Contrairement à un certain mode de pensée très en vogue, j’ai en outre le sentiment qu’il est bon de conserver autant que faire se peut les liens qui nous rattachent à nos ancêtres les plus lointains. S’il est vrai que l’on ne chasse plus pour se nourrir à proprement parler – encore que le partage du gibier lors d’un repas soit important à mes yeux  –, il y a, dans la chasse, cette dimension symbolique qui nous permet de dépasser notre condition d’individu, et même d’homme, pour nous rappeler que nous faisons partie d’une totalité qui nous transcende, tout comme les animaux, au fond. Il y a de l’humilité là-dedans, et même de la beauté… Enfin, je crois qu’il n’est pas acceptable de considérer – comme, là encore, beaucoup le font de nos jours – que ce qui relève de la tradition doit être automatiquement suspecté, remis en cause : qu’on le veuille ou non, la chasse fait partie intégrante de notre culture, de notre histoire, et c’est aussi pourquoi j’ai éprouvé le besoin de lui rendre hommage à travers le personnage de Diane (incarnée par Nina Klinkhamer), cette jeune femme qui renoue, sans honte ni complexe, avec ses instincts, avec cette part « sauvage » que nous avons désapprise et qui est, pourtant, le plus grand témoignage de respect qui soit à l’égard de la nature même de l’animal.

A ce propos, comment expliquez-vous que nous ayons « désappris » ce rapport immémorial à la nature, au point que d’aucuns ne comprennent plus du tout une pratique comme la chasse – la refusent, même ?

Alors même que le mot « nature » est sur toutes les lèvres et que la notion d’écologie, à juste titre, a intégré tous les discours, on a un peu l’impression qu’à présent c’est à une nature fantasmée, réinventée que l’on a affaire. Parmi les gens qui prônent le « retour à la nature », beaucoup sont des citadins pur jus : ils ne connaissent celles-ci qu’à travers des écrans, ou à travers des activités comme le sport de plein air ou la photo, par exemple. Cela est très bien, mais la question reste tout de même de savoir si cela ne contribue pas à biaiser le regard ; prenez le cas du véganisme : quel rapport à la nature le végan entretient-il, dès lors qu’il remet en cause la prédation et la nécessité de la mort animale pour que les espèces perdurent ? En réalité, ce retour à la nature que l’on nous propose aujourd’hui est souvent très sélectif, et le rejet de la chasse en est l’une des conséquences les plus frappantes. Si Le Corps sauvage pouvait participer à rééquilibrer, dans l’esprit des spectateurs, ce rapport à la nature, s’il pouvait donner envie d’aller à la rencontre des chasseurs, comme je l’ai fait moi-même, j’en serais très heureuses…

Justement, comment s’est passé le tournage ?

Nous avons tourné durant un mois en Bretagne, avec une soixantaine de figurants, en majorité bretons, et chasseurs. Nous avons été merveilleusement accueillis, aussi bien par les veneurs, les fauconniers, les chasseurs à tir… Et puis, la Bretagne est une région tellement propice : une campagne magnifique, variée, où calvaires et églises confèrent une atmosphère extraordinaire. Tous ces facteurs ont concouru, je crois, à donner au film une dimension à la fois humaine, esthétique et, je l’espère, juste. La chasse a besoin d’être montrée dans sa beauté, son authenticité ; loin des clichés que l’on véhicule sur elle. Mais ce tournage a aussi permis aux membres de mon équipe – parmi lesquels plusieurs n’étaient pas très favorables à la chasse ! – de découvrir un univers qu’ils ignoraient, des gens chaleureux et amoureux de la nature, notamment lors des repas. Cela, également, a constitué une belle expérience…

Dernière question : on sait que, pour chacun de vos films, vous avez dû faire preuve de beaucoup de ténacité afin de rassembler les fonds nécessaires. Qu’en a-t-il été du Corps sauvage ?

Celui-ci n’a pas échappé à la règle ! Mais, finalement, c’est aussi le prix à payer pour rester indépendant… J’ai donc été aidée par quelques marques et quelques investisseurs privés que je tiens à nouveau à remercier. Il me reste à présent à amortir les coûts liés à la postproduction. D’ailleurs, à ce titre, j’invite les lecteurs qui souhaiteraient me soutenir à acquérir, en prévente, le DVD du film (28 €, frais de port compris) – DVD qu’ils recevront un mois avant la sortie en salle – sur mon site (www.cheyennecarron.com). En outre, inspirée par ce film, je viens également de créer mon sixième parfum, Le Corps sauvage (79 €), que l’on peut se procurer sur www.cheyennecarronparfums.com – et dont on peut au préalable recevoir un échantillon en écrivant à cette adresse : cmcparfums@gmail.com

Bande annonce : https://youtu.be/xr27HVICdPo

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