Nous avançons vers le poste d’affût à pas de loup. Nous n’entendons que les glands qui frappent les feuilles d’autonome en tombant sur le sol. L’air est frais et le vent souffle à peine tandis que nous progressons lentement au milieu des chênes, des hêtres, des tilleuls et des frênes. C’est mon troisième jour de chasse avec Arpi, mon guide, dans la forêt hongroise. Le calme règne. Jusqu’ici, nous n’avons vu que des hardes de mouflons, quelques biches et un cerf aux bourgeons de corne magnifiques mais trop jeune pour être tiré. Je remarque que mon guide semble soucieux : nous n’avons pas encore trouvé de cerf pour moi. Sans doute se demande-t-il quand la chance va-t-elle enfin tourner…
A l’affût et à l’approche dans les forêts hongroises
Nous sommes le 5 octobre. Ce dimanche, nous nous sommes levés à cinq heures pour partir avec les guides et être en forêt aux environs de cinq heures et demi. Il fait sombre et plutôt frisquet quand nous gagnons les voitures pour un court trajet vers les montagnes. Nous avons chassé à l’approche matin et soir, en alternance avec des phases d’affût. Une chose est sûre : ces Hongrois savent chasser le cerf et ils connaissent les bons coins. Mon père a eu la chance d’abattre un cerf dès son premier jour en Hongrie. L’animal avait des bois typiques de la région : un huit-cors. Moi, en revanche, je n’ai vu que quelques biches et des faons au loin pendant les premiers jours. Aucun cerf n’a croisé mon chemin, mais mon père et son guide ont entrevu plusieurs cerfs de différentes statures. J’espère avoir autant de chance, car aujourd’hui, nous allons explorer une autre zone de ce domaine de seize mille hectares. Le territoire, où nous nous trouvons actuellement, se trouve à 66 km au nord de Budapest. C’est un paysage de feuillus, accidenté et montagneux.
En route vers le premier affût de la journée, nous apercevons un cerf dans la fine bande qui nous amène tout droit dans l’épaisse forêt de buis. Les Hongrois sont passés maîtres dans l’art de se frayer un chemin à travers la végétation dense. À cinquante mètres de nous, un cerf s’approche comme une ombre, et puis il s’arrête. On l’entend qui s’engouffre dans la broussaille qui entoure le chemin, heurtant et cassant quelques branches au passage. Le guide dit « stag », et en passant l’endroit où le cerf a dévié, nous reconnaissons une forte odeur de rut qui reste en suspension. Les cerfs sont dans leur deuxième période de rut de l’année, une période qui peut durer de quelques jours à une semaine.
Les différents postes d’où nous partons chaque matin sont très bien pensés. Beaucoup paraissent quelconques quand on les découvre au niveau du sol, mais une fois la décision prise de monter, c’est un nouveau monde qui s’ouvre. Nous grimpons dans la première tour d’affût de la journée qui se trouve près d’une des rares zones déboisées que j’aie vues au cours de mon séjour. Il fait encore relativement sombre, le soleil ne s’est pas encore levé. Un épais brouillard longe la clairière : il est difficile de voir s’il y a des animaux. On entend une biche appeler son petit, et d’autres animaux en mouvement dans le brouillard. Nous attendons avec excitation que le soleil se lève pour qu’enfin, nous puissions apercevoir quelque chose avec nos jumelles.
Un cerf en vue, mais pas le bon
Le brouillard se dissipe quand le soleil commence à pointer à l’horizon. À environ deux cent mètres de notre poste de surveillance, nous découvrons un énorme cerf solitaire en train de brouter sous des chênes. Le guide pense qu’il s’agit d’un jeune, mais il fait encore trop sombre pour en être certain. Nous entrevoyons des bois. Soudain, alors que le soleil est monté d’un cran, Arpi sort de nouveau ses jumelles et s’exclame : « Wow, it’s a good stag ! ». Mais l’animal est beaucoup trop jeune et ses bourgeons de corne trop beaux, on ne peut pas le tirer. Arpi évalue son âge à environ six ans et le poids du trophée à plus de six kilos. On ne pourra pas le chasser avant quelques années. Juste avant qu’il fasse assez clair pour prendre des photos, l’animal se dirige à nouveau vers le bosquet et disparaît dans la végétation. Des biches et des faons traversent la clairière avant de s’éloigner par un chemin de gravier qui serpente dans le paysage. Nous voyons quelques jeunes cerfs de deux ou trois ans. Ils pourchassent une biche plus âgée qui semble être en rut tardif, et elle n’apprécie pas leur empressement. Elle donne quelques coups de patte pour les faire fuir. Son désintérêt est on ne peut plus clair.
Le calme revenu autour de la tour, nous partons en approche pendant quelques heures. Mais nous ne revoyons plus aucun cerf. La matinée n’offrira plus de grand cerf, mais l’humeur est malgré tout au beau fixe car nous avons déjà aperçu quelques bêtes. Sur le chemin du retour vers la voiture, l’heure du petit-déjeuner ayant sonné, nous rencontrons quelques biches et des faons. Ils restent longtemps à nous observer au loin. Ils comprennent que nous sommes des chasseurs et, peu de temps après, ils s’éloignent. Nous remarquons que les animaux à bois se réfugient de plus en plus dans la végétation. Nous choisissons de mettre fin à la session du matin et de recommencer l’après-midi.
Après le petit-déjeuner, il n’y a pas de chasse. C’est dimanche, jour de repos. La forêt est pleine de gens qui se promènent, font du vélo, cueillent des champignons, etc. Les cervidés cherchent la végétation la plus épaisse pour s’y abriter. Nous décidons avec les guides de nous revoir l’après-midi aux environs de quatre heures en espérant que la forêt sera plus calme.
En nous rendant dans la zone de chasse, nous passons quantité d’automobiles et de touristes. L’endroit est à une quinzaine de minutes en voiture. Sur place, c’est calme. C’est un bel après-midi, le soleil est radieux. La veille au soir, un cerf bon à tirer avait été aperçu de l’affût situé dans un champ à gibier planté de seigle. Nous prévoyons donc de nous y poster au crépuscule. Nous voyons beaucoup de pigeons et de geais en périphérie du champ entouré d’un dense bosquet de chênes et d’une forêt de grands chênes. C’est de bon augure pour la suite. Mais il reste encore quelques heures avant la tombée du jour. Nous attendons avec impatience.
Je n’ai pas l’habitude du bruit incessant des glands qui tombent et claquent au contact des feuilles. Le silence est également rompu par les chênes qui s’entrechoquent, et on entend souvent le bruit de branches qui se cassent. Parfois, cela ressemble à s’y méprendre à un cerf qui se faufile. Lorsque le crépuscule commence enfin à tomber, cela fait deux heures et demi que nous sommes à l’affût sans avoir vu le moindre cervidé. Les bruits font de plus en plus penser à des cerfs qui se glissent dans la lisière. Je me tourne plusieurs fois vers mon guide, mais celui-ci me répond par un sourire et secoue la tête. Plus le soir avance, plus j’espère voir surgir du gibier. Le vent s’est calmé, pas le moindre souffle, et le plus petit bruit dans la forêt s’entend distinctement. Les geais crient et se répondent les uns aux autres, quelque chose les irrite. Lorsque le soleil se pose enfin sur les cimes, le silence est total : plus d’oiseaux, rien que le grincement des arbres et le froissement des feuilles.
Quand tout à coup !
Soudain, je ressens un léger coup dans les côtes : le guide indique les buissons à notre droite, à deux cent mètres environ. Des buissons de chêne surgit une biche, la tête dressée. Elle flaire et scrute autour d’elle pendant une minute, puis elle se décide à entrer dans le champ. Un faon la suit. C’est sans doute son premier petit. Ils avancent dans notre direction. Mais voilà qu’une autre ombre surgit de l’obscurité. C’est un mâle ! Nous voyons ses hauts bois et les cors blancs illuminés tandis qu’il s’avance vers la biche. Le guide me dit aussitôt que le cerf est pour moi. Je m’avance doucement, le casque sur la tête, et je saisis ma carabine Browning. Le cerf commence à chasser la biche qui est manifestement en rut. Elle n’a pas l’intention de se laisser faire et s’enfuit vers la gauche, tête baissée. Le cerf abandonne et s’arrête, le flanc tourné dans notre direction, à un peu moins de deux cent mètres. Je sors ma carabine X-Bolt en composite calibre 30.06 et place le réticule de visée bien au centre de l’épaule de l’animal toujours immobile. J’appuie sur la détente. L’animal accuse le tir. Sérieusement touché, il s’enfuit et parcourt cinquante mètres. La balle est entrée exactement là où j’avais visé. Le cerf s’arrête. Comme j’ai eu le temps de recharger, je n’attends pas : je tire de nouveau pour être sûre de l’immobiliser. Cette fois, je vise plus haut et l’animal s’effondre aussitôt. Je suis d’autant plus satisfaite de le voir tomber depuis la tour qu’il se dirigeait vers un bosquet de chênes impénétrable pour l’homme.
C’est seulement lorsque l’animal est à terre que je réalise vraiment que je tiens là mon premier cerf. Je l’observe à travers les jumelles et mon pouls s’emballe. Je tremble après coup. Avant de tirer, je ne l’avais pas vraiment examiné car je faisais entièrement confiance à mon guide. Et je ne voulais pas être prise de tremblements. Chaque tir, chaque situation est unique, surtout lorsqu’il s’agit d’une espèce qu’on abat pour la première fois.
Tandis que nous redescendons silencieusement de la tour et que nous nous rapprochons du cerf, la biche ressort de la forêt. Elle tourne autour du mâle, elle ne comprend pas ce qui vient d’arriver. Mais en nous voyant arriver, elle s’enfuit à travers la dense végétation. Je m’assieds auprès du cerf, je soulève la tête et j’examine les bois. Je suis en extase, mon cœur bat toujours la chamade. C’est le genre de situation où il faut se pincer pour s’assurer qu’on ne rêve pas. Je demande à mon guide d’estimer l’âge de la bête. Il répond que le cerf doit avoir sept ans et que ses bois doivent peser plus de six kilos. Leurs connaissances du gibier ne cessent de m’impressionner. Une semaine après mon retour en Suède, un coup de téléphone m’apprend que le cerf a remporté une médaille de bronze en Hongrie. De quoi rendre le voyage encore plus mémorable !
Fiche info
La chasse était organisée par Stephan Pakh, propriétaire de l’agence Jakt i Ungern. Mon père et moi avions choisi la formule « Ungern special » qui comprend un cerf et quatre biches. Nous avons abattu un cerf chacun ainsi que des faons et un jeune sanglier. Pour plus de détails sur les différentes formules et les voyages de chasse en Hongrie, surfez sur www.jaktiungern.se