La lecture, et c’est heureux, nous réserve parfois de drôles de surprises. Celle que je voudrais partager ici n’est certes pas de nature à bouleverser le sens de l’univers ou à résoudre la quadrature du cercle, mais nous pouvons à bon droit, semble-t-il, imaginer qu’elle amusera certains cynégètes.
En 2017, les éditions Perrin ont publié une excellente biographie signée Marie-Christine Natta, et sobrement intitulée Baudelaire.
Si, dans cet imposant ouvrage qui n’est jamais ennuyeux, rien ne paraît avoir été oublié de l’existence pour le moins tourmentée de l’auteur des Fleurs du mal, du traducteur, du critique littéraire et du critique d’art qu’il fut – dandy écartelé entre « l’horreur de la vie et l’extase de la vie », très tôt criblé de dettes, syphilitique dès l’âge de 25 ans, ne dédaignant point les paradis artificiels et d’un commerce plus que difficile –, un paragraphe de la page 49 n’a pas laissé de nous étonner, dont voici la substance.
Baudelaire a alors 13 ans. Evoquant quelques cadeaux qu’il a récemment reçus de sa famille et dont il parle dans sa correspondance avec son demi-frère Alphonse, de 16 ans son aîné, Marie-Christine Natta précise : « Ces sages présents lui font plaisir, mais celui qui le comblerait de joie, c’est un fusil. Il en parle fréquemment à son frère, dont il envie les parties de chasse dans la forêt de Fontainebleau. » Et, en effet, Charles écrit à Alphonse, le 20 octobre 1834 : « Tu as un fusil de chasse, toi, et par conséquent tu dois bien t’amuser ; depuis longtemps je tourmente maman pour m’en donner un. Elle me dit que c’est dangereux. J’ai celui que tu m’as donné, que j’entretiens avec soin, que je démonte et que je nettoie toutes les fois que je sors ; mais j’ai reconnu que, la crosse étant trop basse, il était très difficile de bien ajuster avec. » Suit une phrase où le jeune garçon liste ses réussites scolaires du moment, lesquelles conditionnent, dans son esprit, la possibilité d’obtenir enfin le droit de disposer d’une arme, puis : « Peut-être que ce sera mieux l’année prochaine, et j’aurai le fusil. J’irai chasser avec toi… » Ce qui n’adviendra jamais.
Lorsqu’on connaît un peu l’homme qu’il allait devenir, celui de la solitude urbaine, des foules et de la ville, le poète attaché à l’Art et aux artifices contre toutes les expressions de la Nature et de l’instinct, « le peintre de la vie moderne » en somme – il y a assurément là de quoi sourire… Baudelaire, chasseur ? Autant se figurer Gandhi dégustant une côte à l’os, Gilles de Rais animant L’École des fans ou… Joseph de Maistre collaborant à L’Humanité !