Quelques réflexions sur la chasse et l’éthique du chasseur

Publié le 04 juin 2016
Auteur Vincent Piednoir
Qu’est-ce que la chasse ? Avant tout, une sublimation de l’instinct sans équivalent au sein des sociétés humaines… et qui dit « humaine » dit aussi « éthique ». Mais en quoi est-ce que ça consiste et quels sont les tenants et aboutissants ?

La chasse relève de l’instinct

A travers cette activité, l’homme communie avec l’animal conçu comme prédateur – mieux : il s’identifie à lui, retrouvant ainsi la véritable clef de son origine. Fondamentalement, il n’y a pas de différence entre l’un et l’autre. Les ruses qu’ils déploient en exploitant chacun leurs dispositions naturelles n’ont jamais qu’un seul but : celui de tuer. Vouloir retirer au chasseur la possibilité de commettre cet acte serait aussi aberrant que de prétendre « interdire » à tel carnivore la poursuite de sa proie et la mise à mort de celle-ci.

Le no-kill, pratique très en vogue dans le monde de la pêche moderne, constituerait un total contresens et une absurdité dans celui de la chasse. Sport parfaitement honorable et digne d’être goûté, le ball-trap ne saurait pour sa part remplacer, aux yeux du cynégète, cette confrontation charnelle à la nature vivante qu’est en définitive la chasse. Impossible d’ailleurs d’imaginer un substitut virtuel à celle-ci : la réalité de la mort infligée au gibier est une donnée irréductible, qu’il est vain de souhaiter minimiser ou enrober. Lorsque je la chasse avec mon chien, je n’entends pas « prélever » telle bécasse mais la tuer. Les mots n’indignent ou n’indisposent que ceux qui n’en connaissent pas la valeur.

L’éthique, condition de la chasse

Cela étant dit, l’homme ne peut, un fusil entre les mains, se contenter de calquer pleinement son comportement sur celui de l’animal : si l’instinct qui stimule leurs sens et leur intelligence est le même, leurs puissances de destruction respectives ne souffrent à l’évidence aucune comparaison. Par conséquent, là où l’animal doit nécessairement suivre les injonctions de son instinct, l’homme, sans pour autant l’étouffer, doit être capable d’en canaliser les excès pour en sublimer l’expression : tel est le rôle de l’éthique qu’il se donne, condition sine qua non d’une pratique de la chasse authentique et… authentiquement humaine.

Aujourd’hui, l’éthique est servie à toutes les sauces – et il n’est guère de domaines qui ne s’en réclament comme d’une justification ultime. On ne le dira cependant jamais assez : ce souci est absolument légitime, car c’est grâce à lui que l’on s’efforce de fonder en raison certaines pratiques humaines qui, à défaut, se verraient d’emblée disqualifiées et condamnées à disparaître. Souvent attaquée parce que mal comprise, la chasse n’échappe pas et ne doit pas échapper à cette réflexion qui engage entièrement ses adeptes et conditionne, peut-être à brève échéance, l’avenir de leur passion.

C’est par l’effet d’un comportement irréprochable que les cynégètes parviendront à montrer que la chasse demeure digne des titres de noblesse que le temps lui a généreusement octroyés ; et c’est seulement au moyen d’un retour éthique sur eux-mêmes qu’ils pourront faire entendre, aux profanes bienveillants ou perplexes, le sens profond de leur amour de la nature. Mais que recouvre cette mystérieuse notion qui transfigure la cynégétique en art et l’érige en antithèse radicale du meurtre ?

Respecter la lettre de la loi mais aussi son esprit

D’abord, l’éthique est – ou devrait être – la grande inspiratrice de la loi. En France – pour ne prendre que cet exemple –, la chasse est extrêmement encadrée : il faut être aveugle ou particulièrement mal intentionné pour oser prétendre le contraire. Il est bien évident, du reste, que tout chasseur doit avoir pour la loi un respect sans compromis – ce qui signifie également que nul n’est censé l’ignorer. Cette soumission ou ce consentement à l’appareil juridique positif est, rappelons-le, la première expression d’un comportement que l’on peut qualifier d’éthique.

Néanmoins, le chasseur conscient de ses responsabilités – encore une fois, il ne pourra en être autrement à l’avenir – a pour obligation d’observer non seulement la lettre de la loi mais aussi son esprit. Concrètement, cela signifie qu’il doit faire sienne la proposition suivante et en tirer toujours les conséquences nécessaires : ce n’est pas parce qu’une chose n’est pas interdite que je suis en droit de la considérer légitime. Voilà sans doute le précepte le plus important, celui sur lequel nous ne pouvons transiger et qui fait du chasseur un être doué de libre-arbitre.

En effet, il n’est ni possible ni souhaitable que le législateur intervienne à chaque instant, dans chaque situation de chasse. Celle-ci étant, heureusement, le théâtre de séquences toujours inédites (sans le sel de la surprise, que vaudrait-elle ?), c’est bien souvent au chasseur de concevoir et de respecter les règles non écrites qui préserveront sa dignité, celle de l’animal et celle de la nature. La loi ne m’impose aucune limite journalière et numérique sur le tir de tel gibier ? Cela ne m’autorise pourtant pas à ferrailler jusqu’au dernier animal, et plus que de raison… La loi ne déclare nulle part expressément qu’il soit prohibé de tirer le lièvre avec du très petit plomb – tel le numéro dix ?

C’est à moi de comprendre qu’il n’est ni efficace ni digne, en tant que chasseur, de prendre le risque de blesser ce gibier ou tout autre animal en usant d’une munition a priori inadaptée… Dans le même ordre d’idée, rien ne m’interdit de tirer à des distances que je sais trop importantes pour mon calibre : vais-je pourtant me permettre de le faire – simplement pour paraître plus « sport » aux yeux de mes compagnons, tenter un « beau » coup, et alors que je sais pertinemment n’avoir qu’une chance infime de tuer net ?

Les exemples pourraient être multipliés à l’infini : l’éthique a pour fonction de prendre, sur le terrain, le relai de la loi positive, ou, plus exactement, de ses intentions. En ce sens, elle est une somme d’attitudes d’ordre moral que le chasseur responsable adopte volontairement, parce qu’il sait qu’elles conditionnent la pérennité de sa passion, en préservant le cadre au sein duquel celle-ci s’exerce : la nature.

L’éthique, concrètement

En disciplinant son instinct de prédateur, le chasseur assoit sa légitimité dans la durée et au regard de tous. Mais en quoi consiste plus précisément l’éthique du chasseur ?

  • Tuer net autant qu’il est possible pour épargner à l’animal d’inutiles souffrances;
  • Prendre soin de ses auxiliaires – chiens, chevaux, appelants, rapaces, etc. – et éduquer convenablement ceux qui doivent l’être;
  • Connaître et préserver les biotopes favorables;
  • Réguler les espèces momentanément ou chroniquement néfastes à d’autres populations animales;
  • Evaluer la qualité de la reproduction annuelle du gibier pour déterminer un taux de « prélèvement » possible raisonnable;
  • Respecter les divers « usagers de la nature » en privilégiant toujours un discours apaisé et courtois;
  • Faire preuve de civisme à l’égard des autres chasseurs, et s’interdire de céder à la tentation du « massacre » qui procède toujours d’un esprit de compétition peu glorieux et honteusement destructeur;
  • Avoir sans cesse conscience du fait que porter une arme implique davantage de devoirs que de droits;
  • Montrer, contre les tenants d’un progressisme déraciné et vide, que la culture cynégétique est omniprésente dans le développement historique des sociétés humaines, et qu’elle confine à la science, à l’art, à la philosophie…

…ne jamais trahir, en somme, l’esprit de la Chasse, qui enseigne la maîtrise de soi et qui seul réussit le prodige de replacer l’homme au cœur du monde sauvage, sans pour autant lui retirer son « humanité » – cela, tout cela relève d’une éthique cohérente, consciente, efficace. D’une éthique qui, à elle seule, est à la fois une défense et une illustration de la Chasse.

L’avenir de la chasse et la chasse de l’avenir

Jadis, la chasse était une évidence ; aujourd’hui, la configuration psychologique de l’homme moderne – qui ne connaît plus la mort que par ouï-dire et la refuse – en fait une question, voire un problème. On peut le regretter amèrement et s’en plaindre, en épousant une attitude empreinte de nostalgie, en pleurant sur un passé défunt… Mais on peut aussi se dire, à juste titre à mes yeux, que l’hostilité patente de certains de nos contemporains est, pour nous, l’occasion de montrer clairement que la chasse est depuis toujours partie prenante de l’équilibre des écosystèmes – et qu’elle entend bien le rester. Voilà pourquoi nous avons à présent le devoir d’être, d’un point de vue éthique, irréprochables.

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