Gwenda : graveuse aux doigts de fée

Publié le 24 mars 2016
Auteur Adrien Koutny
Nous sommes vendredi matin et nous hâtons le pas. Gwenda Lieben, graveuse pour le compte de la John M. Browning Collection, nous a donné rendez-vous dans l’atelier, niché au cœur de la FN Herstal. la ville se réveille sous un ciel bleu, zébré par la fumée des usines. Le froid prend à la gorge. Des ouvriers se pressent vers leur lieu de travail tout en se réchauffant les mains dans les poches de leurs vestes fluorescentes. Une jeune maman ramène quelques sacs de provision, tout en poussant un imposant landau où repose un nourrisson emmitouflé dans d’épaisses couvertures. Nous nous dépêchons pour ne pas être en retard au rendez-vous.

Dans l’antre des artistes

L’atelier de la John M. Browning se distingue d’abord par l’extrême propreté qui y règne. Ici, les outils sont tous soigneusement rangés. Une voiture des années 20, une moto des années 30 et un vélo trônent au milieu de la grande pièce. Souvenirs de temps anciens où la FN Herstal diversifiait le plus possible ses activités. Gwenda Lieben vient à notre rencontre. Cette jolie blonde de trente-six ans, dynamique, un peu timide, semble avoir un sourire gravé sur le visage.

« Je ne parle pas très bien français » lance-t-elle d’emblée, avec une pointe d’accent flamand. Elle est modeste, en plus ! Nous nous asseyons dans le show-room où sont exposées les plus belles armes de la John M. Browning Collection, appelée anciennement Custom Shop. Aux murs, des B25 particulièrement raffinés, quelques nouveaux B15, mais aussi la plupart des armes qui ont fait et font encore la renommée de Browning. Dans une vitrine trônent quelques pistolets. Gwenda nous raconte son parcours.

« J’ai une âme d’artiste », commence-t-elle, avant de rire en disant que cette affirmation est quelque peu exagérée. « A l’école, j’ai eu un parcours classique, j’ai fait des études sociales et scientifiques. Après ce parcours, je voulais me lancer dans quelque chose d’artistique. Je pensais dessiner pour des bureaux d’architecte. » C’est alors que son père, féru de chasse, est entré en scène. « Il a vu que l’école d’armuriers Léon Mignon organisait une journée portes ouvertes. Je suis allée avec lui, je pensais qu’ils organisaient encore des cours de couture », confesse celle qui confectionne elle-même une partie de ses vêtements. « Le projet de l’école m’a séduite. Je n’ai pas hésité longtemps avant de m’y inscrire. »

« Mes études se sont bien passées, j’ai vite opté pour la gravure. Après trois ans de cours, j’ai fait un premier stage… chez Beretta ! J’y suis restée six mois » avoue celle qui, aujourd’hui, a le plaisir de travailler sur les meilleurs fusils du monde. « Je suis ensuite revenue en Belgique. J’ai travaillé pour Gravure et Traditions, un atelier d’Herstal. Quand il a fermé, j’ai rejoint Herstal Engraving Art, un atelier satellite de Browning. Au bout de neuf ans, celui-ci a aussi baissé le rideau. J’ai alors rejoint Browning et l’atelier qui s’appelait alors le Custom Shop. »

Une femme accomplie et passionnée

Gwenda est épanouie, elle trouve son bonheur dans ce métier artistique. « Je suis heureuse dans mon travail, je suis contente d’évoluer dans un domaine créatif » assure-t-elle avec un large sourire sur le visage. « Mon père et même mon mari sont très fiers de moi ! » Comme toute artiste qui se respecte, Gwenda est particulièrement heureuse quand on lui laisse la liberté totale dans la conception et l’exécution de sa gravure. « Cela n’arrive que très rarement, mais j’ai eu l’occasion de réaliser la gravure que je voulais sur un B25. Un superbe moment, où j’ai pu m’exprimer à 100%. On l’a appelé le B25 Gravure Special Lieben. Il a été vendu à un Danois. »

Une gravure de B25 demandant en moyenne entre 100 et 500 heures de travail, il est primordial d’être patient. « Il ne faut pas aller trop vite, c’est comme ça qu’on ne commet pas d’erreurs » certifie la sympathique jeune femme. « Quand des clients viennent voir comment nous travaillons, ils sont toujours surpris de voir que nous œuvrons avec les mêmes outils qu’il y a 200 ans. Tout se fait toujours à la main. Même si, sur certaines armes, on pré-grave au laser. L’usage du laser répond à une demande des clients, beaucoup plus exigeants qu’il y a trente ou quarante ans. »

Et si la technologie évolue, il va de soi que les graveurs changent eux-aussi. « Les jeunes qui apprennent sont plus curieux qu’avant. Ils regardent partout, s’inspirent de tout. A mon époque, c’était plus classique » nous confie-t-elle. Gwenda, qui travaille sur des armes coûtant parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros, a un conseil pour les jeunes désireux de se lancer. « Faites en sorte que la passion vous anime, lance-t-elle. Ne soyez jamais satisfaits du résultat, on peut toujours faire mieux. N’ayez pas peur d’apprendre. Il y a de la place pour les perfectionnistes. La John M. Browning Collection recrute des graveurs ! »

Quelques mots pour les graveurs en herbe

Notre discussion touche à sa fin. L’envie nous prend de chatouiller Gwenda, au sens figuré, cela va de soi. « Si c’est difficile d’être la seule femme dans un atelier comprenant treize hommes ? » s’étonne-t-elle en riant. « Il ne faut pas se laisser faire, les hommes aiment charrier. Mais nous sommes soudés, l’ambiance à la John M. Browning est excellente. »

Une heure s’est écoulée depuis le début de l’entretien. Nous n’avons pas vu le temps passer. Gwenda doit s’occuper des gravures d’un B15, magnifier tout le travail exécuté en amont. Une porte claque. Le bruit caractéristique du marteau frappant le burin résonne de suite.

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