Chasse à la sauvagine: à la hutte ou au gabion

Publié le 03 août 2016
Auteur Vincent Piednoir
Traditionnelle, cette chasse unique se pratique la nuit et recèle quelque chose de « sacré » pour ses adeptes. Quoi de plus excitant, en effet, que l’attente nocturne au fond du marais, lorsqu’on n’entend plus rien que le chant des appelants – annonciateur, peut-être, de la pose tant espérée ? Ici, le sommeil est toujours chahuté : à la vérité, le gabionneur est d’abord un veilleur hors pair. En France, des dizaines de milliers de passionnés ne vivent que pour ces heures d’affût où la patience est souvent mise à rude épreuve… Alors, seules la température extérieure et l’espérance d’un vent favorable ont, à leurs yeux, une réelle importance.

Caché dans la nuit du marais

La hutte – le gabion ou la tonne, selon les régions – est un abri fixe, plus ou moins enterré, très camouflé, et installé face à une étendue d’eau. Il peut s’agir d’une mare (naturelle ou artificielle), d’un étang, d’un lac ou de toute autre surface aquatique aménagée pour inciter le gibier d’eau (anatidés, limicoles) à s’y remiser et à s’y nourrir. Il existe des gabions « flottants » (dans les zones soumises aux effets de la marée, surtout) et des gabions « en dur » (le plus souvent en béton). D’une hutte à l’autre, le confort est très variable – certaines ne disposant pas du chauffage ni même de l’électricité (ah, l’odeur de la bougie !), quand d’autres, beaucoup moins rudimentaires, font figure de véritables petits appartements souterrains.
Dans tous les cas, cependant, le principe est identique : posté devant les guichettes (ou guignettes), les jumelles à la main et tous feux éteints, le chasseur attend que des canards de passage trouvent la mare à leur goût et daignent s’y arrêter… On tire alors les oiseaux posés, parfois à l’œil nu, plus couramment à l’aide d’une lunette fixée sur son fusil (souvent un semi-automatique ou un juxtaposé), lunette dans laquelle on aperçoit le « U » où placer sa cible. En général, le calibre utilisé est le 12 Magnum ou Super-Magnum : dans l’eau, en effet, le corps d’un canard est toujours à moitié immergé – et il est donc plus difficile de le tuer net, en particulier lorsque la saison est avancée.

Le miracle du « passage »

En théorie, cela paraît fort simple ; en pratique, il en va tout autrement. D’abord, nous avons affaire à des migrateurs. Il faut être là au bon moment : ce sont les oiseaux qui « décident », pas les chasseurs… De plus, le vent et la météo restent les maîtres du jeu. Le plaisir infini que procure le gabion est sans cesse tributaire de cette incertitude. Tant de bredouilles, jusqu’à ce que survienne une belle nuit – une nuit où les oiseaux sont là, où l’œil est invariablement en alerte, et où, croyez-moi, on n’a pas du tout envie de dormir ! Témoignages de la vie intime de la nature, ces moments extraordinaires peuvent néanmoins être très brefs : deux nuits, trois nuits, quelques heures parfois et hop ! le passage est terminé… Aucun gabionneur n’ignore ce que sa chasse de prédilection comporte d’aléatoire.

Le gabionneur, un fin stratège

Bien entendu, que le bon vent soit ou non de la partie, le gabionneur s’efforce toujours de mettre le maximum de chances de son côté. Pour cela, il a principalement deux alliés : d’une part, son expérience (qui est aussi celle des anciens) ; d’autre part, ses appelants (canards vivants dont ils s’occupent durant toute l’année avec un soin méticuleux… sinon maniaque).
Le but de la manœuvre étant de « faire tomber » le gibier de telle manière qu’il puisse être tirable, le gabionneur positionne ses lignes d’appelants (on dit alors qu’il « pique ») en considérant tous les paramètres du moment : météo, force et direction du vent, état de la lune, marée, etc. S’agissant des colverts, il discrimine les bourres (c’est-à-dire les canes) en fonction de la tonalité et du rythme de leur chant : long cri, demi cri et court cri ne rempliront pas le même office au cours de la nuit – le premier accrochant le gibier au loin, le deuxième l’incitant à tourner et le dernier achevant, idéalement, de le faire se poser… Il va sans dire que, la plupart du temps, le huttier connaît ses auxiliaires individuellement !

Variété des appelants

Nombre de chasseurs ne se limitent d’ailleurs pas à l’usage des colverts : outre les formes, qu’ils disposent en « paquets » et qui attirent ainsi l’attention des oiseaux sauvages, les gabionneurs piquent aussi des spécimens issus d’autres espèces – sarcelles d’hiver, siffleurs et pilets le plus souvent ; cela dépend essentiellement du lieu où est située l’installation ainsi que de la période concernée. Une vraie symphonie commence alors…
Mais quels trésors d’ingéniosité ces cynégètes ne déploient-ils pas pour arriver à leur fin – fût-ce dans les huttes du domaine maritime ou dans celles des terres ! Sans compter qu’ils n’ont pas leurs pareils pour imiter le cri de tel ou tel bec pointu ou bec plat…

Le gabion, lieu de partage

Comment terminer cette trop courte évocation des plaisirs de la hutte sans ajouter qu’elle est aussi un formidable lieu de convivialité, d’échange et d’amitié ? Les gabionneurs le savent bien : ici, dans cette belle solitude des marais environnés de nuit, le partage est roi – qu’il s’agisse de l’émotion qui nous étreint tous à l’instant de la pose, du bon repas que nous prenons ensemble ou… des moments de repos accordés à chacun entre deux tours de garde !

En France, parce qu’elle y est traditionnelle, la chasse à la hutte de nuit est légale dans 27 départements. Cependant, elle ne peut être pratiquée qu’à partir d’installations antérieures au 1er janvier 2000. Aujourd’hui, il n’est donc plus possible de créer, en France, de nouveaux gabions – huttes ou tonnes.

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